Paralysie du Nerf Interosseux Antérieur (NIOA)
Le nerf interosseux antérieur est une branche essentiellement motrice du nerf médian.
Cette branche nait 5 à 8 centimètres sous l’épicondyle médial au dessus de l’arcade du flexor digitorum superficialis, après le passage entre les deux chefs du pronator teres.
Le nerf donne alors ses branches pour le flexor pollicis longus, puis la branche pour le flexor digitorum profondis indicis et dans certains cas (50%) pour le flexor digitorum profondus majus. Il accompagne ensuite l’artère interosseuse antérieure en passant entre et sous le corps du flexor pollicis longus et le corps du flexor digitorum profondus, il donne enfin la branche du pronator quadratus qu’il aborde par sa face profonde puis il donne quelques branches terminales sensitives pour l’articulation du poignet mais aucune branche à destinée cutanée.
Sommaire – Accès rapide
L’avant bras est le siège de fréquentes variations anatomiques tant dans la distribution nerveuse que dans l’existence ou l’absence certains muscles.
L’anastomose de Martin Gruber (15%) correspond à une anastomose haute à l’avant bras entre le nerf médian et le nerf ulnaire. Quand elle existe elle donne au nerf interosseux antérieur un role dans l’innervation de certains muscles intrinsèques habituellement innervés par le nerf ulnaire.
Le muscle de Gantzer est un muscle accessoire du flexor pollicis longus ; il l’accompagne sur son bord médial et son tendon est accolé à celui du muscle principal. Sa disposition, le type de son innervation et son importance sont variables.
Qu’est-ce qu’une paralysie du nerf interosseux antérieur ?
Tout au long de son trajet anatomique, le nerf interosseux antérieur peut être le siège d’une compression. Sa division intrafasciculaire très haute autorise même des compressions à la partie haute de l’avant bras ou parfois du bras. Une compression haute du corps du nerf médian peut entrainer une symptomatologie purement sur le nerf interosseux antérieur.
Les causes compressives sont les plus fréquentes. Le passage du nerf médian ou du nerf interosseux sous des structures musculaires ou tendineuses fibreuses peut entrainer un syndrome compressif.
On retrouve donc de haut en bas : le lacertus fibrosus soit par épaississement soit par dédoublement ; le pronator teres, en général par existence de chef coronoidien profond tendineux ou de fascia fibreux entre les deux chefs; le ligament de Fearn et Goodfellow (bandelette aponévrotique entre le chef superficiel du pronator teres et le brachial anterieur) ; l’existence d’un muscle de Gantzer ; une arcade fibreuse du flexor digitorum superficialis; un tendon accessoire allant du flexor digitorum superficialis au flexor pollicis longus ; l’existence d’un palmaris profondus.
Enfin des arcades vasculaires aberrantes ou thrombosées et des tumeurs en général synoviales peuvent être responsables de compression.
Le plus souvent, c’est à la suite d’un traumatisme que le syndrome de compression se déclare, à l’avant bras bien sur, mais aussi au bras et même à l’épaule ; ainsi une paralysie peut être diagnostiquée au décours d’une fracture de clavicule ou d’une luxation de l’épaule. L’existence d’un traumatisme du membre supérieur en général doit faire évoquer l’étiologie post traumatique d’un syndrome du nerf interosseux anterieur.
L’atteinte du nerf antérieur a été rapportée en 1948 par Parsonage et Turner dans le cadre de la description de la névralgie amyotrophiante. Kiloh et Nevin ont décrit des causes inflammatoires. Enfin des causes virales ont été évoquées.
Quels sont les signes cliniques liés à cette paralysie ?
Le diagnostic est souvent tardif car le déficit peut passer un certain temps inaperçu.
Il est en général précédé d’une période de douleurs de l’avant bras irradiant parfois au poignet, pouvant durer de quelques jours à quelques semaines, ces douleurs pouvant être aggravées par les mouvements en particulier de prono supination.
Le deficit complet entraine l’absence de flexion de l’interphalangienne du pouce associée au déficit de flexion de l’interphalangienne distale de l’index.
L’atteinte de la branche destinée au pronator quadratus est impossible à diagnostiquer précisemment en raison de l’action simultanée et compensatrice du pronator teres.
Le signe caractéristique de l’atteinte complète est l’impossibilié de réaliser un rond avec la pince pollicidigitale termino terminale, elle devient alors latéro latérale : l’aspect est en « bec de canard ». On peut retrouver dans certains cas une atteinte concomittante de la flexion de l’interphalangienne distale du médius.
Les formes dissociées ne sont pas rares et sont trompeuses, soit atteinte isolée du flexor digitorum profondis indici, soit du flexor pollicis longus.
Souvent dans ce cas, le diagnostic initialement posé est celui d’attente du muscle ou du tendon, d’autant que le patient se présente dans les suites plus ou moins lointaines d’un traumatisme de l’avant bras de gravité variable.
Dans le doute, l’utilisation de l’effet ténodèse lors de la flexion et de l’extension du poignet démontre bien la présence d’un tendon fléchisseur continu.
L’examen clinique peut retrouver, surtout au début une douleur à la palpation profonde de l’avant bras.
Les trois tests de Spinner permettent de sensibiliser cet examen :
- la supination contre résistance, coude fléchi réveille la douleur par mise en tension du lacertus fibrosus sur le nerf.
- La pronation contre résistance comprime le médian entre les deux chefs du pronator teres.
- La flexion de l’interphalangienne proximale du médius, en contractant le flexor digitorum superficialis, entraine une compression par l’arcade de ce muscle.
Le scratch collapse test de Mac Kinnon fait appel au réflexe décrit en 1919 par Hoffman, définit comme une diminution transitoire de l’activité des EMG lors de la contraction volontaire résultant d’un effet nocif. L’irritation des fibres nerveuses de petit diamètre A-δ induirait un réflexe inhibiteur ascendant [Huynh 2018].
L’existence de signes sensitifs à la main doit faire rechercher une atteinte du nerf médian plus haute.
La rupture spontanée du long fléchisseur du pouce (LFP) peut parfois être trompeuse mais se différencie en théorie d’une paralysie d’un nerf interosseux antérieur par la disparition de la flexion de l’index ou du majeur dans l’atteinte du nerf. Une atteinte dissociée et isolée peut exister. Le diagnostic différentiel se fait à ’aide d’un test clinique simple. En mettant poignet, trapézométacarpienne et métacarpophalangienne du pouce en extension passive, si l’IP du pouce se met en flexion passive, ceci témoigne de l’intégrité du tendon. Les examens complémentaires (Echographie et IRM) permettent aussi de faire le diagnostic différentiel.
Quels sont les examens complémentaires utiles ?
Un examen échographique ou une IRM peut être utile dans certains cas, en particulier quand on suspecte une cause tumorale. S’il peut retrouver une étiologie ou une zone inflammatoire ou cicatricielle non spécifique, il ne pourra jamais confirmer le diagnostic de façon certaine.
L’amyotrophie du carré pronateur est évocatrice mais elle n’est pas spécifique.
Quels sont les traitements possibles ?
Le traitement est pour certains médical dans un premier temps.
En fait celui-ci doit être réservé aux formes de causes médicales connues (virales, inflammatoires), qui sont rares et surtout sa durée doit être limitée dans le temps : 6 à 8 semaines.
Il comporte le port d’une attelle de repos et l’interdiction de certains gestes qui sollicitent le nerf sur une arcade musculaire.
De toute façon la plupart des patients consultent après un délai qui dépasse cette durée et le traitement chirurgical peut être proposé d’emblée si l’étude électrique est positive.
Il consiste en une dissection du nerf médian à l’avant bras depuis le pli de flexion du coude jusqu’au tiers moyen.
L’intervention est réalisée sous anesthesie loco régionale, avec un garrot pneumatique et avec un systéme optique. Un neuro stimulateur est si possible utilisé.
L’incision débute légèrement au dessus du pli de flexion du coude, brisée sur celui ci, elle rejoint de façon sinueuse le tiers moyen de l’avant bras à sa partie moyenne. L’hémostase doit être réalisée soigneusement tout au long de l’intervention car les hématomes post opératoires ne sont pas rares et gênent la récupération neurologique.
Le lacertus fibrosus est d’abord sectionné. L’artère radiale est alors bien individualisée et certaines de ces branches doivent être liées pour continuer la dissection.
On réalise une section du chef radial du pronator teres ce qui permet de retrouver le tronc du nerf médian et sur son bord radial, plongeant plus en profondeur, le nerf interosseux antérieur. Toutes les zones de compression possibles doivent être libérées, et les arcades vasculaires passant en pont au dessus du nerf médian ou du nerf interosseux antérieur doivent être liées. On peut alors sectionner l’arcade du flexor digitorum superficialis et libérer complètement le nerf jusqu’ à la jonction tiers moyen tiers inférieur de l’avant bras.
Les différentes branches du nerf interosseux antérieur peuvent alors être explorées.
En général la ou les branches atteintes sont plus fermes et plus bleutées que les branches saines. On peut les tester selectivement avec le neurostimulateur et confirmer l’absence de conduction de l’une ou de plusieurs d’entre elles.
L’hémostase est complétée avant la fermeture qui est en général faite sur redon aspiratif.
Quel est le pronostic ?
Après une neurolyse chirurgicale, la récupération est en générale excellente et peut être très rapide à condition que la libération soit faite dans des délais offrant chance d’inversion de la dégénérescence musculaire.
Une rééducation peut être entreprise car le délai précédent le traitement a souvent entrainé une amyotrophie des muscles atteints.
La récupération motrice prend habituellement de quelques semaines à quelques mois, voire un an.
La récupération est suivie cliniquement par la progression du signe de Tinel et électriquement par un EMG précoce a 3 mois puis à 6 mois.
En cas d’absence de récupération un transfert tendineux peut restaurer les fonctions manquantes. On peut même y avoir recours de première intention, si le patient consulte très tardivement et que la dégénérescence musculaire est irréversible.
Références
- DellonAL, Mqackinnon SE. Musculoaponeurotic variations along the course of the median nerve in the proximal forearm. J Hand Surg 987;12B:359-63.
- Miller-Breslow A, Terrono A, Millender LH. Non-operative treatment of anterior interosseous nerve paralysis. J Hand Surg 1990; 15A: 493-6.
- Rask MR. Anterior interosseous nerve entrapment (Kiloh-Nevin syndrome). Clin Orthop 1979;142:176-81.
- Seror PE. Electrodiagnostic examination of the anterior interosseous nerve. Normal and pathologic data (21 cases). Electromyogr Clin Neurophysiol 1999;39:183-9.
L’auteur : Docteur Patrick HOUVET
Le Docteur Patrick Houvet, chirurgien orthopédiste à Paris et en Île-de-France, est spécialiste en chirurgie orthopédique du membre supérieur, ainsi qu’en chirurgie des nerfs périphériques.