Transferts tendineux : principes mécaniques et possibilités thérapeutiques
La chirurgie de transfert de tendon est une chirurgie pour restaurer une fonction perdue, en modifiant le fonctionnement d’un muscle par déplacement de son insertion tendineuse distale vers un nouveau site anatomique. Le traitement palliatif par transfert tendineux fait partie intégrante du plan thérapeutique après une lésion nerveuse majeure.
Il peut être discuté d’emblée si les possibilités de réparation par suture ou greffe nerveuse ne sont pas réalisables par exemple si la longueur de la greffe nécessaire est trop longue, si le lit de réparation nerveuse est de qualité trophique défavorable, et/ou si le bilan nerveux initial justifie en priorité de réserver le capital nerveux disponible pour la réparation d’un autre tronc, et/ou si le sujet est très âgé.
Ce traitement est le plus souvent réalisé secondairement en cas de lésion prise en charge trop tardivement (recolonisation estimée des effecteurs supérieure à 18 mois par rapport à l’accident initial), ou après échec ou récupération incomplète après une chirurgie nerveuse (suture directe ou greffe nerveuse).
Qu’est-ce qu’un transfert tendineux ?
Le choix du muscle dans un transfert tendineux nécessite :
- d’analyser avec précision la fonction musculaire perdue.
- de connaître les caractéristiques du muscle à remplacer (ou de la fonction à pallier) et celles des muscles transférables.
- de choisir le muscle transféré comportant des caractéristiques mécaniques aussi proches que possible de celles du muscle à suppléer.
- de maintenir globalement la fonction réalisée par le muscle transféré malgré son transfert et en acceptant cependant une diminution de force. La fonction du muscle transféré est prise en charge par un autre muscle (fonction « en double»).
Un transfert tendineux utilise :
- un muscle moteur (dit donneur), dont l’insertion proximale reste en général attachée à son point d’origine, qui garde sa vascularisation et son innervation, et dont on déplace le point de terminaison. Il est indispensable qu’il ait une puissance suffisante. Le muscle peut parfois être entièrement mobilisé (et donc ses deux points d’attache desinserés ; il s’agit alors d’un transfert musculo-tendineux libre avec suture microchirurgicale de son pédicule vasculaire et de son nerf.
- éventuellement une poulie de réflexion pour changer la direction initiale du muscle et donner à son tendon une direction plus adaptée à l’effet que l’on attend de lui.
- un point d’attache distal, en général le tendon distal d’un muscle paralysé (dit receveur) ou directement sur le squelette à mobiliser.
Le bon transfert est celui qui n’affaiblit pas complètement un groupe musculaire, dont la course est voisine et la force égale ou supérieure au tendon qu’il cherche à remplacer. Quand son trajet n’est pas identique à celui du tendon d’origine, une poulie de réflexion permettra de lui donner un angle d’attaque approprié.
Les prérequis avant la réalisation du transfert sont multiples :
- l’état du blessé est stabilisé, il n’y a plus d’espoir d’amélioration (ni d’aggravation), notamment au prix d’autres opérations (neurolyse, suture, greffe, neurotisation sur les nerfs). En règle, on envisagera l’éventualité d’un transfert tendineux au terme d’un an en l’absence de réparation nerveuse, à la fin de la période estimée de repousse nerveuse (1 mm par jour).
- La mobilité des articulations à réanimer est maximale et si nécessaire, une correction des rétractions cutanées, musculaires ou capsulaires doit être réalisée avant le transfert (kinésithérapie, attelles de position, arthrolyse). En effet, le muscle transféré est moins puissant que le muscle primitif et la résistance provoquée par la raideur dilminuera encore plus sa fonction. On considère qu’un muscle transféré perd un point sur l’échelle internationale de cotation musculaire qui va de 0 à 5. Il ne faut donc transférer que des muscles dont la contraction permet un mouvement d’amplitude complète contre résistance partielle (cotation 4) ou totale (cotation 5).
- les muscles antagonistes ne doivent pas être trop puissants.
- les parties molles voisines doivent être de bonne qualité. Il faut éviter le passage sous des greffes de peau, sur une surface osseuse irrégulière, qui peuvent développer des adhérences, ou de croiser du matériel d’ostéosynthèse, sur lequel il pourrait se fra- giliser et se rompre.
- La rééducation postopératoire peut être faite et suivie correctement.
Quels sont les principes opératoires d’un transfert tendineux ?
- Dissection : la dissection doit respecter le ou les pédicules vasculo-nerveux du muscle à transférer. Il faut libérer le muscle à transférer depuis son tendon distal jusqu’à son pédicule vasculonerveux, en excisant les fascias et les septums intermusculaires sur lesquels il s’insère.
- Trajet : le trajet doit être le plus direct possible, en évitant au maximum les changements de direction importants car les angulations sont la source d’adhérences et de perte d’efficacité. Parfois une poulie de réflexion est nécessaire pour donner au tendon transféré une direction qu’il ne pourrait pas avoir autrement. La plupart des opérateurs proposent un trajet par tunnellisation sous-cutanée, avec l’espoir que l’absence de dissection étendue évite les adhérences .
- Longueur du transfert : il faut éviter les greffes tendineuses qui prolongent un tendon transféré trop court, générateur d’adhérences et il est préférable d’utilser une partie du périoste par exemple.
- Tension du transfert : si le transfert est insuffisamment tendu, la contraction musculaire s’épuisera jusqu’à sa mise en tension du tendon terminal et s’il est trop tendu, il limitera la mobilité articulaire, voire ne permettra pas du tout la fonction musculaire. Un transfert tendineux se détend pendant la période d’immobilisation et de rééducation et on recommandee de le tendre un peu plus que la tension naturelle du tendon remplacé. Il ne faut pas brider la fonction musculaire antagoniste qui doit encore rester possible sous tension maximale du transfert.
- Technique de suture : le tendon transplanté est faufilé dans le tendon receveur selon la technique de Pulvertaft. Les sutures seront réalisées par des points en X ou en U, au monofil non résorbable non tressé de calibre 2/0 ou 3/0 de façon à éviter les adhérences que pourrait générer l’usage d’un fils tressé résorbable.
- Immobilisation : l’immobilisation formelle du memebre est indispensable pendant trois ou quatre semaines, dans une position de relâchement maximum des tendons transférés. Lorsqu’elle est possible, la mobilisation passive du ou des tendon (s) transféré (s), sous couvert de l’immobilisation, est souhaitable pour éviter ou limiter au maximum les adhérences dans le foyer opératoire.
- Rééducation : elle comporte une première phase de récupération des amplitudes articulaires et de réentraînement des muscles transférés à la contraction, guidée par le kinésithérapeute, puis une deuxième phase de sollicitations dans les mouvements de la vie courante, pour que l’utilisation du transfert devienne automatique.
Références
- Fontaine C. Principes généraux des transferts tendineux. p162-172. Lésions traumatiques des nerfs périphériques. Elsevier Masson 2007
- Merle M. Principes des transferts tendineux à la main. Cahier d’enseignement de la Société française de chirurgie de la main no 3. Paris : Expansion scientifique ; 1991. p. 37-47.
- Moutet F. La réanimation de l’extension de la main et des doigts en dehors des lésions plexiques. Cahier d’enseignement de la Société française de chirurgie de la main no 11. Paris : Expansion Scientifique ; 1999. p. 61-76.
- Revol M, Servant JM. Paralysies de la main et du membre supérieur. Analyse et principes thérapeutiques. Paris : MEDSI ; 1987.
- Revol M, Servant JM. Chirurgie palliative motrice des paralysies de la main. (I) Principes et méthodes palliatives des fonctions élémentaires. Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris). Techniques chirurgicales-Orthopédie-Traumatologie, 44-420. 1987.
L’auteur : Docteur Patrick HOUVET
Le Docteur Patrick Houvet, chirurgien orthopédiste à Paris et en Île-de-France, est spécialiste en chirurgie orthopédique du membre supérieur, ainsi qu’en chirurgie des nerfs périphériques.