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Lésions iatrogènes des nerfs périphériques

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On estime qu’entre 8 et 25% de toutes les lésions nerveuses périphériques (LNP) peuvent être en rapport avec une intervention médicale. La chirurgie orthopédique est associée au plus haut taux de lésions iatrogènes des nerfs périphériques, en raison essentiellement de la proximité anatomique des nerfs et des techniques impliquées. C’est encore plus vrai au membre supérieur et à la main où l’on retrouve dans un très petit volume l’ensemble des composants anatomiques de notre corps : os, vaisseaux, tendons et nerfs.

Les lésions nerveuses peuvent être très préjudiciables pour les patients et entraîner une perte de sensibilité et/ou une paralysie.

Ces lésions peuvent être permanentes avec des problèmes fonctionnels majeurs, psychologiques et socio-économiques pour leur victime.

L’évaluation du déficit fonctionnel doit être spécialisée et indépendante. Le spécialiste des nerfs aidera à déterminer le site de la blessure, la physiopathologie des blessures et le besoin éventuel d’une intervention réparatrice.

Comment cela se traduit-il cliniquement ?


Les lésions nerveuses sont une conséquence inévitable d’un traumatisme loco-régional.

 

  • Les fractures fermées peuvent entraîner une traction majeure avec rupture axonale ou une rupture de la gaine nerveuse, les nerfs peuvent être lacérés par des fragments osseux ou de esquilles ou encore comprimés à partir de luxations articulaires, d’un mauvais alignement des membres ou d’un hématome compressif.
  • Les plaies pénétrantes peuvent blesser directement les nerfs périphériques.

 

Le chirurgien orthopédiste doit reconnaître ces lésions et les noter lors de l’examen initial pour décider d’une part si une intervention urgente est nécessaire et aussi éviter l’étiquetage erroné comme une lésion iatrogène peropératoire.

Mais cet examen peut être difficile en raison d’un coma ou d’une conscience réduite, d’une mauvaise compliance, de douleurs majeures, d’une attelle ou d’un plâtre immobilisant le membre blessé ou bien d’une lésion majeure viscérale qui réclame un traitement encore plus urgent ;

Cet examen approfondi doit être documenté dans le dossier médical et communiqué à l’équipe traitante. Le patient doit être informé de tout résultat anormal, des implications pour la rééducation et le pronostic fonctionnel ultérieur.

Le diagnostic précoce d’une lésion nerveuse peut modifier le plan de prise en charge. Par exemple une fracture de l’humérus même peu déplacée mais associée à une lésion du nerf radial doit être explorée et réparée immédiatement, évitant ainsi la nécessité d’une exploration ultérieure et/ou d’une greffe nerveuse.

 

Une lésion nerveuse directe peut provenir d’un défaut de l’installation opératoire, du garrot à la racine du membre, d’une approche chirurgical erronée ou inadéquate, de brûlures par le bistouri électrique, d’un nerf coincé dans la fracture au moment de la réduction, des outils utilisés (moteur, scie, daviers etc..), des dispositifs médicaux implantés (DMI) tels que broches de fixateur, externe, clou, plaques, vis etc… Les chirurgies dites « mini-invasives » ajoutent un niveau de risque supplémentaire en ne permettant aucune visualisation directe des structures environnantes. L’arthroscopie nécessite une connaissance parfaite des voies d’abord décrites mais aussi des variantes anatomiques locales possibles et parfois fréquentes.

Des blessures postopératoires peuvent survenir en raison de pansements, d’attelles ou de platres trop serrés, de la pression d’un hématome ou d’un syndrome de loges.

 

En anesthésie, la réalisation d’une anesthésie loco-régionale supprime la secousse d’avertissement d’un excès de traction sur un nerf, la blessure directe ou l’electro-coagulation à proximité. Le risque de blessure au cours d’une anesthésie loco-régionale est évaluée à 1 : 10 000. L’échographie et/ou l’utilisation d’un nerve stimulator réduisent le risque de blessure. La plupart des blocs doivent être complètement levés entre 12 et 24 heures, en fonction du type de produits utilisés. La persistance d’un déficit au-delà de cette période notamment avec le développement de neuropathie doit évoquer la possibilité d’une lésion nerveuse per-opératoire.

 

Seddon a défini 3 classes de lésions nerveuses périphériques (LNP) : neurapraxie (ou bloc de conduction transitoire), axonotmesis (atteinte de l’axone avec une certaine préservation de la continuité de la gaine nerveuse) et neurotmesis (lésion complète du nerf et de la gaine). La compréhension des résultats variables des lésions axonotmétiques a été élargie grâce à la classification de Sunderland. Une blessure moins grave des composants du tissu conjonctif de la gaine nerveuse entraîne une régénération plus rapide et complète. L’interruption avec une atteinte du périnèvre n’entraîne aucune récupération fonctionnelle et un névrome en continuité.

 

Lundborg et d’autres ont défini plus en détail la pathoanatomie de ces lésions. Des degrés plus élevés de neurapraxie sont observés lorsqu’il y a des dommages au gaine de myéline. Ce type de blessure est appelé bloc de conduction prolongé et affectent de manière différente les fibres nerveuses alpha myélinisées de grand diamètre responsables de la douleur, température, toucher léger et fonction motrice. Les axones non myélinisés de petit calibre peuvent continuer de fonctionner et donc dans de tels cas il y a préservation des fonctions vasomotrices et une certaine préservation de la douleur.

Quels sont les signes cliniques évocateurs ?


Une évaluation clinique répétée est la clé du diagnostic d’une LNP en termes de localisation anatomique et de gravité physiopathologique.

Le diagnostic doit être suspecté devant un déficit sensitif et/ou une paralysie motrice dans le territoire d’un nerf périphérique à la suite d’une intervention chirurgicale.

La douleur neuropathique est la conséquence de la dégenerescence Wallerienne d’aval.

 

  • La plupart des lésions neurapraxiques guérissent spontanément et, par conséquent, la fausse utilisation de cette qualification sous-estime généralement la gravité de la blessure et peut entraîner un retard au diagnostic réelk et au traitement. Certains cas de neurapraxie peuvent ne pas se rétablir ou se détériorer en raison d’un mauvais environnement nerveux persistant.

 

  • La discontinuité axonale avec dégénérescence Wallérienne distale du site de la lésion est une caractéristique de lésions mixtes, axonopathiques et neurotmétiques. Dans de tels cas, la douleur est courante. Il y a généralement un signe positif de Tinel qui signe la progression de la repousse nerveuse.
    Une lesion Sunderland de grade 4 et 5 ne montrera aucune progression du Tinel.
    Une lésion de grade 3 ne progressera pas plus de 1 mm par jour, mais un Sunderland grade 2 ou un axonotmesis de Seddon de bas grade peuvent se régénérer à raison de 2-3 mm par jour.
    Un ralentissement de la progression du Tinel, une augmentation de la douleur ou une incertitude diagnostique sont des indications pour l’exploration. L’hyperalgésie et l’allodynie sont des symptômes courants qui peuvent évoquer une section nerveuse partielle.

 

  • La constatation d’une peau sèche avec érythème, avec perturbation de la sudation dans le territoire cutané d’une lésion sensorielle ou nerf mixte doit avertir le clinicien qu’une lésion de type neurapraxie doit être reconsidéré. Ces signes fournissent des preuves objectives au moins une lésion axonotmesique et éventuellement une lésion neurologique. Ce test peut être utile dans les patients qui sont incapables de communiquer, comme ceux en soins intensifs ou en réanimation.

Quels sont les examens complémentaires nécessaires ?


  • La radiographie standard permet de vérifier la position anatomique du DMI : la position de l’implant et toute modification de la longueur ou de l’alignement des membres doivent être notées. On recherchera aussi des ossifications péri-fracturaires ou bien autour du DMI. On recherchera aussi l’ombre d’un corps étranger non radio-opaque.
  • L’imagerie du nerf est rarement utile. L’étude locale permet toutefois d’éliminer un hématome susceptible de comprimer des structures neurovasculaires. Les investigations ne doivent pas retarder une intervention chirurgicale indiquée.
    L’échographie est capable de qualifier la structure fasciculaire, d’apprécier le diamètre et la section transversale du nerf, de retrouver une image de névrome et de voir s’il glisse normalement dans les manœuvres dynamiques. Le DMI n’a pas d’influence sur la qualité du résultat mais l’examen peut être limité en raison de la plaie chirurgicale et de la douleur locale.
    L’IRM est gênée par la proximité des implants qui modifient la qualité de l’image.
  • L’electromyogramme (EMG) joue un rôle important dans la localisation d’une LNP et la détermination de la gravité de la blessure. L’EMG peut être utilisé aussi pour surveiller la guérison spontanée ou la réponse au traitement.
    On suggère à tort que l’EMG doit être mieux réalisé à 6 à 8 semaines après la lésion supposée  et certainement pas avant 7 à 10 jours car des résultats faussement rassurants peuvent survenir le fait que la dégénérescence Wallérienne ne soit pas encore terminée. Un EMG précoce peut être effectivement normal, cependant une étude répétée à 2 semaines démontrant une détérioration sans activité volontaire, une réduction des vitesses de conduction et une fibrillation musculaire pose le diagnostic d’axonopathie et la blessure est au mieux une blessure mixte avec un axonotmesis ou au pire un neurotmesis. Une intervention précoce peut alors être envisagée sans attendre.
    Le rôle des études EMG dans le suivi de la récupération après une LNP est incontesté.

Quels sont les traitements possibles ?


Le patient doit être informé de la possibilité d’une LNP dès qu’elle est suspectée.

Certaines interventions peuvent être immédiatement mises en œuvre, y compris l’ouverture des plâtres et des pansements circonférentiels.

Parfois la nécessité d’une exploration chirurgicale n’est pas claire et plutôt que de retarder le risque, dans de tels cas l’avis peut être sollicité auprès d’un centre spécialisé dans la gestion des LNP.

Lorsqu’une décision est prise et qu’il n’y a pas de besoin urgent de réexplorer, (en absence de douleur neuropathique sévère, de la présence de signes de continuité nerveuse au moins partielle, d’un EMG favorable etc…), le spécialiste doit proposer un suivi clinique régulier et rapproché du patient, peut-être initialement toutes les deux semaines. Cela permet une discussion plus approfondie du diagnostic et des implications avec le patient, permet d’optimiser le timing de toute intervention, exemple lorsqu’une plaie a suffisamment guéri pour minimiser le risque de surinfection du site de l’implant orthopédique.

 

  • Le diagnostic d’une lésion nerveuse iatrogène se fait parfois immédiatement en peropératoire. Dans ces circonstances particulières, la modification du planning opératoire peut faciliter la prise en charge de la lésion nerveuse.
    Par exemple, accourcissement osseuse lors de l’osteosynthèse d’une fracture de l’humérus peut faciliter le débridement et la réparation directe d’un nerf radial.
    La transposition antérieure du nerf ulnaire au niveau du coude peut autoriser une suture directe sans tension.
    Lorsqu’un chirurgien spécialiste des nerfs périphériques n’est pas disponible, il est tres important de repérer et de fixer les extrémités nerveuses sectionnées par un fil coloré monofilament non résorbable. Cela permet une identification facile lors de la ré-exploration mais minimise le risque de d’autres lésions nerveuses lors de la dissection et cela permet d’éviter l’élargissement du gap entre les deux extrémités.

 

  • Dans le cadre d’une lésion iatrogène probable, identifiée au cours de la période postopératoire, la décision d’opérer doit être basée sur l’examen clinique
    La section compléte autorise une réparation dans les meilleurs délais.
    Cependant, dans la majorité des cas, il y a une continuité de la gaine nerveuse et du nerf avec parfois une petite fonction ou un trouble fonctionnel incomplet. C’est cette incertitude qui crée un défi dans la décision d’explorer toute lésion nerveuse. L’exploration chirurgicale vise à identifier le site et la gravité de la lésion nerveuse. Lorsqu’il existe une douleur neuropathique et que le nerf peut être attaché ou compressé, les risques d’exploration sont faibles et l’environnement ne peut qu’être amélioré par l’exploration.
    Le nerf peut être décompressé s’il est comprimé par un hématome, un fragment de fracture déplacé, ou un cal osseux exhubérant.
    Lorsqu’une articulation est luxée ou un membre mal aligné, la réduction chirurgicale et l’alignement anatomique protégera le nerf d’une nouvelle lésion.
    Le nerf peut être aussi sectionné partiellement ou totalement.
    • La neurolyse implique la libération d’un nerf adhérent ou comprimé. Dans le cadre de neuropathie avec exacerbation lors des mouvements passifs (neurosténalgie) ou avec pseudoparalysie, la neurolyse peut entraîner une amélioration spectaculaire de la fonction et des symptômes. Le resurfaçage avec un lambeau fasciocutané loco-régional est utile lorsque les tissus mous sont pauvres ou lorsque le nerf blessé est superficiel.  Les enveloppes de polymère biorésorbable ou de collagène formant une barrière sont des compléments parfois utiles.
    • Lorsqu’il existe une section nerveuse, complète ou partielle ou un nevrome en continuité, une réparation nerveuse est nécessaire. Dans la majorité des cas, cela implique la resection du névrome jusqu’à obtenir des moignons de fascicule proximaux et distaux sains et bien vascularisés. Le gap qui en résulte doit être comblé avec une greffe nerveuse. Une réparation directe peut rarement être effectuée car la tension au niveau du site de réparation peut entraîner une fibrose intrafasciculaire supplémentaire et une nuire à une régénération axonale réussie.
    • La chirurgie de neurotisation implique la réinnervation du muscle effecteur à l’aide d’une branche nerveuse ou d’un fascicule d’un autre nerf proximité de la cible. La technique est interessante dans le cadre de blessures proximales avec des effecteurs tres distaux où le temps rend peu probable que la fonction de régénération rétablisse la continuité des axones moteurs. Il peut également offrir une solution de sauvetage lorsqu’un patient est vu tres tardivement avec une amyotrophie musculaire majeure
    • Les transferts tendineux peuvent être considérés comme une méthode alternative lorsque la blessure est diagnostiquée tardivement, au-delà du timing normal de la chirurgie nerveuse.
    • Les névromes cutanés d’une incision chirurgicale peuvent entraîner une douleur intense chez les patients. Les blocs nerveux diagnostiques sous guidage échographique sont utiles pour définir le nerf et le potentiel d’une intervention chirurgicale réussie.

Quel est le pronostic ?


Le pronostic dépend de la date du diagnostic et de sa prise en charge, de l’importance de la lésion nerveuse et de l’environnement tissulaire.

Si la lésion est vite diagnostiquée (voire en per-opératoire), vite traitée et qu’il s’agit d’une section franche proche de l’effecteur musculaire dans un environnement sain alors le deficit definif est peu probable, et le resultat serar rapidement positif

A contrario si l’environnement est mauvais (tissu fibreux et cicatrice, deficit vasculaire ou interventions prealables multiples etc…), si ce diagnostic est tardif et/ou si la reparation n’est pas possible directement le risque de sequelles definities est plus important.

C’est dans ces conditions que la qualité du dialogue avec l’équipe soignante prend toute son importance. La plupart du temps un contexte judiciarisé se met en place avec un processus d’indemnisation assurantiel.

Références


  • Kretschmer T HC, Antoniadis G, Richter HP, Kônig RW. Iatrogenic nerve injuries. Neurosurg Clin N Am 2009 ;20 (1): 73-7
  • Pulos N SE, Spinner RJ, Shin AY. Management of Iatrogenic Nerve Injuries. J Am Acad Orthop Surg. 2019;27(18): 838-48.
  • Soh J, Hill J, Power D. Iatrogenic nerve injuries in orthopaedics. J Musculoskelet Surg Res. 2019;3(l):9.
dr patrick houvet chirurgien du membre superieur et des nerfs peripheriques a paris 16

L’auteur : Docteur Patrick HOUVET

Le Docteur Patrick Houvet, chirurgien orthopédiste à Paris et en Île-de-France, est spécialiste en chirurgie orthopédique du membre supérieur, ainsi qu’en chirurgie des nerfs périphériques.