Classification et physiopathologie des lésions nerveuses périphériques
Un nerf périphérique contient des fibres sensorielles, motrices, autonomes et des fibres mixtes (sensitivo-motrices). En règle générale, il existe une corrélation anatomo-clinique entre les dommages physiques du nerf et les signes de déficits nerveux.
De nombreuses classifications ont été proposées afin de faciliter le diagnostic, le pronostic et la stratégie de réparation en cas de nerf traumatisé (Kaye, 1991 ; Greenberg, 1994 ; Seddon, 1965, 1968 ; Sunderland, 1990).
La plupart des classifications tentent de corréler le degré d’atteinte anatomique du nerf avec les symptômes. En 1943, Seddon a présenté une classification des lésions nerveuses basée sur trois types de lésions des fibres nerveuses et sur l’existence ou non d’une continuité.
Les trois types de lésions nerveuses sont la neurapraxie, l’axonotmesis et la neurotmesis. En 1951, Sunderland a complété la classification de Seddon par une échelle ordinale plutôt que catégorielle (Sunderland, 1990).
Sommaire – Accès rapide
Classification de Seddon
- La neurapraxie est la forme la moins sévère de lésion nerveuse et fait état d’une interruption temporaire de la conduction de l’influx nerveux, sans perte de continuité axonale. L’endonèvre, le périnèvre et l’épinèvre sont intacts.
L’interruption est physiologique et non anatomique. La récupération a lieu en quelques minutes jusqu’à quelques semaines sans dégénérescence wallérienne. Il s’agit probablement d’une lésion à caractère biochimique causée par des micro-blessures ou par choc de la fibre axonale à la suite d’une compression, traction ou chimio-tactique. La fonction motrice est la première majoritairement atteinte par rapport à la sensibilité. La fonction autonome étant généralement conservée.
Les symptômes surviennent généralement en aval de la lésion. L’examen de la conduction nerveuse est normal dans le segment proximal et le segment distal mais perturbée dans la zone lésionnelle. L’examen électromyographique (EMG) n’est pas alarmant, sans potentiel de fibrillation ou ondes pointues positives (Seddon, 1968).
- L’axonotmesis implique une perte de la continuité relative de l’axone et de son enveloppe de myéline mais le squelette de tissu conjonctif est préservé (les cellules de Schwann, l’épinèvre et le périnèvre).
Puisqu’il existe une solution de continuité axonale, il s’en suit une dégénérescence Wallérienne. L’examen EMG réalisé 2 à 3 semaines après l’agression nerveuse montre des fibrillations et des potentiels de dénervation dans la musculature en aval du site. La perte d’alimentation nerveuse du myotome et du dermatome concerné est plus systématisée en cas d’axonotmesis que de neurapraxie, et la récupération suit un calendrier régénératif (axones) bien plus important.
L’axonotmesis est la résultante d’une blessure par écrasement, traction ou contusion mécaniquement plus importante que la neurapraxie. Il est à noter qu’il existe une dégénérescence rétrograde en cas d’axonotmesis qui sera le premier lieu de la régénérescence nerveuse. Les fibres de régénération nerveuse doivent “traverser” le site lésionnel et se régénérer à travers la zone proximale ou rétrograde de dégénérescence.
Cet état de régénération peut s’étendre au cours de longues semaines. La fibre axonale en régénération progresse vers le segment nerveux distal, comme par exemple du poignet à la main. Les lésions nerveuses situées à la racine des membres présentent une célérité de régénération de 2 à 3 mm par jour ; par contre, une lésion distale est affublée d’une vitesse moindre, de 1 à 1,5 mm par jour (Seddon, 1965). Divers facteurs influencent de manière positive cette activité régénérative comme : l’immobilisation du site lésionnel (en amont et en aval) ; la tension du segment lésé ; l’absence de molécule neuro-toxiques (chimiothérapie, troubles glycémique) (Seddon, 1965 ; Sunderland, 1990 ; Wall, 1991).
Une intervention chirurgicale à type de neurolyse est parfois nécessaire afin d’augmenter la trophicité et la souplesse du nerf, ce qui est bénéfique pour la cicatrisation extra- et intra-neurale.
- La neurotmesis, telle que l’a décrite Seddon, est la lésion la plus sévère (Seddon, 1968). Les mécanismes sont : une lacération, une compression sévère ou une élongation sévère. La fibre axonale est blessée. Il se surajoute une solution de continuité des tissus de soutient du nerf.
La traduction EMG de cette lésion est superposable à celle rencontrée en cas de lésion axonométrique. La règle est la perte totale des fonctions motrices, sensorielles et autonomes. Cependant, certains territoires présentent une innervation de recouvrement partiel, source d’erreur à l’examen clinique.
Ce type de lésion nécessite toujours une intervention chirurgicale de remise en continuité de l’axe nerveux. La classification de Sunderland divise, elle, le neurotmesis en trois degrés distincts (Kaye, 1991).
Classification de Sunderland
En 1951, Sunderland a démembré la classification de Seddon à cinq degrés lésionnels (Kaye, 1991 ; Greenberg, 1994 ; Sunderland, 1990).
- La lésion nerveuse du premier degré (1er degré) est analogue à la définition de Seddon pour la neurapraxie.
- Le 2e degré, correspond à la définition de Seddon de l’axonotmesis. Les lésions de 3e, 4e et 5e degrés de Sunderland, correspondent au neurotmesis de Seddon.
- Le 3e degré correspond à une interruption de la fibre axonale et de l’endo-nèvre avec un respect de l’intégrité de l’épinèvre et du périnèvre. La guérison spontanée de ce type de lésion est possible mais rare sans intervention chirurgicale.
- Pour une lésion du 4e degré de Sunderland, seul l’épinèvre reste intact ; tout le squelette fibreux du nerf est atteint.
- Une lésion du 5e degré représente une interruption complète du nerf périphérique.
Ces deux dernières lésions sont chirurgicales.
Dégénérescence Wallérienne
La dégénérescence Wallérienne est un processus physiologique qui survient à la suite de lésions nerveuses périphériques axonotmésis et neurotmésis (3e au 5e degrés) (Kaye, 1991). Lorsqu’une fibre nerveuse est sectionnée, écrasée, grandement étirée ou ayant subi une agression chimique entraînant un axonotmesis ou un neurotmesis, la fibre axonale est séparée du péricaryon, et dégénère.
Cette dégénérescence Wallérienne survient après une lésion axonale au sein des deux systèmes, périphérique et central. Elle débute au moignon distal du site lésionnel dans les 24 à 36 heures suivant le traumatisme (Wall, 1991 ; Coleman, 2010). Il existe un laps de temps précédant la dégénérescence ou la fibre axonale distale reste excitable. La dégénérescence axonale (destruction de l’ensemble de la fibre nerveuse) est suivie d’une dégradation de la gaine de myéline et d’une infiltration par les macrophages. Les macrophages associés aux cellules de Schwann, participent à la clearance des débris cellulaire (Coleman, 2010 ; Liu et al., 1995 ; Coleman et al., 1998 ; Kerschensteiner, 2005).
Les plaies axonales conduisent initialement à une dégénérescence axonale aiguë (DAA), qui se traduit par une séparation rapide des parties proximale et distale (des axones) dans les 30 minutes suivant le traumatisme (Kerschensteiner et al., 2005). La dégénérescence se poursuit par un élargissement de l’axolemme conduisant à la formation de vésicules en chapelet.
Ce processus dégénératif dure environ 24 heures au sein du SNP, s’étend sur une période plus longue pour le SNC. Les voies de signalisation conduisant à la dégénérescence de l’axolemme sont actuellement inconnues. Cependant, la recherche a montré que ce processus DAA n’est pas calcium dépendant. (Vargas & Barres, 2007 ; Zimmerman, 1984).
La désintégration granulaire du cytosquelette axonal et des organites internes se produit après la dégradation de l’axolemme. Les premiers changements incluent l’accumulation de mitochondries dans les régions para-nodales du site de la plaie. Le réticulum endoplasmique se dégrade et les mitochondries gonflent et finissent par disparaitre. Il s’en suit une dépolymérisation des microtubules suivie d’une dégradation des neurofilaments et des autres composants du cytosquelette axonal. L’importance de cette dégradation dépend du type de blessure nerveuse, plus lente dans le SNC que dans le SNP. Un autre paramètre est à prendre en compte : le diamètre de l’axone. Plus ce diamètre est important plus la dégénérescence axonale sera lente (Guertin et al., 2005).
En cas ou le neurolemme ne dégénère pas, il persiste à l’état d’un tube creux. Dans les 96 heures suivant le traumatisme, l’extrémité proximale de la fibre nerveuse envoie des radicelles (phénomène de sprouting) vers ces tubes, qui sont comme guidées par des facteurs de croissance produits par les cellules de Schwann. Si le sprouting atteint le tube distal, sa croissance est d’environ de 1 mm / jour. En cas où ces radicelles n’atteignent pas le tube à cause d’un gap trop important, un geste de microchirurgie permet d’affronter au mieux les deux extrémités (Guertain et al., 2005 ; Vargas et al., 2005).
On a observé que les cellules de Schwann recrutaient des macrophages via la libération de cytokines pro-inflammatoires après détection d’une lésion axonale. Le recrutement des macrophages permet d’améliorer l’élimination des débris de myéline. Les macrophages libèrent à leur tour d’autres cytokines dans un phénomène d’emballement pérennisant le recrutement macrophagique, phénomène amplifié par un taux circulant élevé de cytokines (Murinson et al., 2005).
Murinson et coll. ont observé que les cellules de Schwann dépourvues de gaine de myéline ou myélinisées au contact d’une lésion axonale entre dans une phase de multiplication, environ 3 jours après la plaie (Liu, 1995). Ces cellules en division produisent des facteurs de croissance favorisant le sprouting à partir du moignon proximal. Cela conduit à une ré-innervation distale. Cependant, la ré-innervation n’est pas parfaite car il se produit des erreurs d’aiguillage entre les différentes fibres axonales et dendritiques (Murinson et al., 2005 ; Liu et al., 1995).
Un processus apparenté connu sous le nom de “Dégénérescence Wallérienne – Like” est présent dans de nombreuses maladies neuro-dégénératives, en particulier dans les affections où le transport axonal est altéré.
Références
- Masson N. Herzberg G. Anatomie chirurgicale et microchirurgicale du nerf périphérique. Lésions traumatiques du nerf périphérique. 2007 Masson Elsevier Ed.
- MacKinnon SE, Dellon AL. Surgery of the peripheral nerve. New York: 1988. Thieme
- Seddon H. Surgical disorders of the peripheral nerves. London: 1975 Churchill Livingston
- Sunderland S. Nerves and nerves injuries. Edinburgh: 1978. Churchill Livingston
L’auteur : Docteur Patrick HOUVET
Le Docteur Patrick Houvet, chirurgien orthopédiste à Paris et en Île-de-France, est spécialiste en chirurgie orthopédique du membre supérieur, ainsi qu’en chirurgie des nerfs périphériques.